Au spectacle

Aller au spectacle, c’est souvent se réunir, retrouver ses semblables dans un endroit où quelque chose va être donné à voir ou à entendre. Une salle de cinéma est un lieu isolé du reste du monde, où chaque spectateur s’est fixé rendez-vous avec un film, c’est-à-dire avec l’enregistrement d’un événement extérieur et antérieur à ce rendez-vous, cette coïncidence.

Articulé autour d’un coucher de soleil, mon film fait jouer ces différentes réalités temporelle et spatiale entre le phénomène filmé et le spectacle du film projeté. Le spectacle cinématographique du coucher et le coucher même y apparaissent artificiellement simultanés et voisins, mais aucun n’est cadré. Sont cadrés des objets en papier, en carton et en tissu, constituants d’une maquette de salle de cinéma, de ses assises et des spectateurs. Le cadrage permet de créer le spectacle d’un public de cinéma devant un film projeté pour nous dans le hors-champ. La lumière émise par l’écran est réfléchie sur le corps blanc des spectateurs, réintégrant ainsi dans le champ les couleurs du coucher de soleil.

Un coucher de soleil est un événement naturel, un phénomène qui, comme la grande majorité des phénomènes de ce type, est toujours caractérisé de spectacle. La culture conditionne l’expérience esthétique du coucher de soleil, son artialisation, en fixant des codes de représentation.

Un coucher de soleil est le mouvement d’un corps. Le contempler, c’est regarder du temps qui passe dans son épaisseur, c’est-à-dire, comme le dit Bergson, « la continuation de ce qui précède dans ce qui suit et la transition ininterrompue, multiplicité sans divisibilité et succession sans séparation ». Aucun instant n’est particulièrement marquant, c’est une évolution, à notre échelle, si lente et si continue, qu’à y fixer son regard sans relâche, on croirait être devant de l’immobile. C’est en détournant son regard de temps en temps qu’on se rend compte, qu’on aperçoit les variations, les changements, au moment d’y reporter ses yeux.

Au cours de chaque plan fixe du film, les variations de couleurs sont difficilement perceptibles. Ce sont bien les changements de plan, et donc les changements de cadre, qui nous rendent sensibles l’avancement du film projeté et donc la course du soleil. Cette dernière se manifeste de biais, comme par ricochets successifs, sautant d’un cadre à l’autre, d’une surface à l’autre.