La peau touche autant qu’elle est touchée, elle s’entretient avec la peau d’un autre ou avec les objets environnants. Cette étreinte, cette rencontre, laisse des traces, forme en creux un dessin fugace que je tente de capter, d’enregistrer par le moulage. Ces déformations de la surface de la peau et la profondeur des empreintes donnent à voir, ou plutôt laissent imaginer l’intensité, la puissance et la durée de l’entretien.
Ces motifs, ces empreintes figés dans un moule puis restitués en plâtre, sont à la fois les traces d’une absence et d’une présence. Quelque chose s’est bien imprimé sur la peau au cours d’une rencontre mais, au regard des marques laissées par son passage, du jeu est possible pour des fictions et des interprétations symboliques. J’entreprends la réalisation de fragments de mon corps en plâtre (matériau lui-même sujet à l’érosion) qui donnent forme à ces enjeux : la peau est une membrane sensible, impressionnable par les pressions extérieures et souffrant des pressions qu’elle-même exerce. Elle est une surfaced’inscription sur laquelle on peut prendre connaissance d’un fait, décrypter un récit, voire même «lire» un message adressé. La peau est en contact permanent avec des objets qui viennent la vêtir, la parer, dans les deux sens de ce verbe : protéger et embellir, cacher et agrémenter.
Ces différents aspects sont souvent en lien avec le sacré, et orientent mes premières recherches vers le religieux, territoire riche en histoires où la peau, dans son apparat même, est convoquée pour attester ou réaliser un acte divin miraculeux. Ici, je travaille sur la mise en scène des stigmates de la crucifixion. Jérôme Lèbre, dans son livre Eloge de l’immobilité, nous rappelle que « la mort sur la croix […] est une exposition fixe du corps qui est aussi exposition de l’âme ».
Ces marques, à l’origine produites effectivement par des objets, seraient spontanément apparues sur la peau de certaines personnes. Relevant du mystique pour certains, du psychosomatique pour d’autres, cette apparition est ici rejouée en pressant entre mes deux mains un objet prosaïque, une vis cruciforme. Les deux mains marquées sont assemblées de part et d’autre d’une planche de bois contreplaqué, formant ainsi une croix couchée, figurant un corps descendu, le moment d’après.